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Éléments psychologiques du devenir grand(e) frère/sœur

Il est difficile d'établir un tableau psychologique de l'enfant qui devient grand(e) frère/sœur car les situations sont multiples : en fonction de son rang dans la fratrie, en fonction de l'âge, en fonction des relations parents/enfants, et finalement en fonction du profil de l'enfant devenant grand(e) frère/sœur et de celui du bébé qui arrive. Il y a donc autant de façon de devenir grand(e) frère/sœur que de fratries. Pour autant, je vais tenter de mettre en lumière quelques éléments sur ce changement de statut.

UN VÉCU SEMBLABLE AU DEVENIR PARENTS ?
- petit(e) frère/sœur réel(le) vs imaginaire : tout comme ses parents, l'enfant se projette avec un bébé dans la famille. A partir des dires de ses parents, de ses connaissances (livres, amis, autres frères et sœurs...) et de ses rêveries, il s'imagine ce à quoi va ressembler le bébé et sa vie avec un(e) petit(e) frère/sœur. Et, comme pour ses parents, l'écart entre ce qu'il avait imaginé et la réalité sera plus ou moins grand. Le travail d'acceptation de ce bébé dans la famille passe, pour tous, par un renoncement quant à l'enfant imaginaire pour accueillir l'enfant réel. On peut imaginer que ce travail n'est pas aisé à réaliser pour le nouveau grand frère/sœur en fonction de certains éléments : s'il devient grand frère/sœur pour la 1ere fois (et ne connait donc rien aux bébés), si les parents ont idéalisé auprès de lui ce bébé et ce devenir grand(e) frère/sœur, si le bébé est particulièrement difficile et/ou les parents très en difficulté dans leur rôle auprès de celui-ci, si le bébé présente un handicap... la confrontation au bébé réel pourra donc provoquer des sentiments tels que désillusion, regrets, rejet, refus, colère agressivité, tristesse... il sera aussi probablement plus difficile pour l'enfant d'accueillir l'enfant réel si ses parents sont eux-mêmes confrontés à un grand écart entre bébé réel et imaginaire, et eux-mêmes en difficulté pour accepter leur enfant réel.


- L'enfant face au tremblement de terre familial. La famille est un groupe d'individus qui évolue dans une recherche continue de stabilité. Certains événements font "crise" en  venant bouleverser le groupe qui devra s'adapter pour retrouver une nouvelle stabilité : les événements qui mènent à modifier le nombre de personnes dans le groupe sont sûrement les plus déstabilisants, véritables tremblements de terre familiaux. Avec la naissance d'un enfant, la famille traverse donc une crise qui impacte chacun de ses membres : les rôles et places de chacun s'en trouvent modifiés. Pour l'enfant devenant grand(e) frère/sœur, cette crise est d'autant plus forte qu'il ne l'a pas choisi (contrairement aux parents qui généralement la choisissent) : la crise pourra faire émerger des comportements indésirables chez lui (régressions, agressivité, pleurs, troubles du comportement...) lesquels relèvent du normal, tant qu'ils son transitoires. L'arrivée d'un bébé nécessitera donc une réadaptation de chacun et une réorganisation du système familial, et ce dans 2 buts : retrouver une stabilité dans le groupe famille et construire un nouveau fonctionnement familial avec un membre de plus. L'homéostasie retrouvée peut être saine, positive, d'évolution vertueuse ou être pathologique, négative, symptomatique ; auquel cas un (ou les) enfant(s) peuvent manifester un mal-être et devenir enfant symptôme du fonctionnement familial.

- la Fratrescence. Depuis quelques années, le terme de "matrescence" est mis en lumière pour parler de ce moment où la femme devient mère avec tous les bouleversements que cela entraîne : véritable crise identitaire, comparé à la crise d'adolescence. Par extension, il semble tout aussi pertinent de parler de "patrescence". Et, dans mes réflexions, je me suis dit que celui de "fratrescence" était tout aussi légitime. En effet, la crise familiale évoquée dans le point précédent s'accompagne d'un inévitable remaniement identitaire pour chaque membre de la famille. Ainsi, le devenir grand(e) frère/sœur entraîne des changements identitaires du fait du changement de place au sein de la famille et du nouveau rôle à endosser. L'enfant aura à s'approprier ce nouveau rôle et la forme de cette appropriation sera au carrefour entre ses propres traits de personnalité, son vécu intime quant à ce nouveau rôle, le positionnement parental quant à ce dernier et la nouvelle homéostasie familiale.


LES MANIFESTATIONS COMPORTEMENTALES
- jalousie vraiment ? C'est sûrement la question qui revient le plus auprès des parents "l'aîné est-il jaloux ?". Si l'enfant manifeste une quelconque agressivité/colère/rejet/ras-le-bol quant au petit, il sera immédiatement qualifié de jaloux. Mais est-ce vraiment ce dont il est question ? Nous avons vu dans les points précédents quels chamboulements personnels et familiaux l'enfant expérimente avec la venue du bébé, et combien cela est déstabilisant. De plus, l'attachement à son petit frère/sœur est à construire. Dans ce cadre, les mouvements affectifs de l'enfant sur son puiné sont rarement exclusivement positifs ou négatifs : il y a bien souvent de l'ambivalence avec des sentiments positifs et d'autres négatifs qui peuvent être présents simultanément ou se succéder par phase. Des mouvements négatifs pourront ainsi émerger dans un second temps après une phase idéale de "lune de miel".  En parlant uniquement de "jalousie", on nie les ressentis personnels de l'enfant en entendant uniquement la part relationnelle parents/enfants. C'est finalement une vision des choses très égocentré autour des parents. D'ailleurs les parents préparent souvent l'enfant pour éviter la jalousie en l'incluant dans les préparatifs de l'arrivée du bébé puis en libérant du temps pour lui une fois le bébé né. Mais il est beaucoup moins préparé aux autres ressentis que provoqueront l'arrivée du bébé et ceux-ci risquent d'être ignorés par les parents et l'entourage, trop centrés sur la fameuse jalousie fraternelle. Pourtant l'enfant, tout comme ses parents, voit son quotidien bouleversé pour le meilleur comme pour le pire et cela provoque joie, colère, impuissance, fatigue, émerveillement, lassitude, rejet, regret, excitation, admiration,... les parents expérimentent eux-mêmes souvent une ambivalence dans leurs ressentis, mais considèrent que leurs enfants ne devraient être que joie devant l'arrivée du bébé. Ces ressentis sont à entendre et à partager en famille pour éviter qu'ils ne prennent des proportions démesurées, mais aussi pour limiter la culpabilité qui pourrait les accompagner.

- Expression des ressentis négatifs à l'égard du bébé : cela pourra prendre diverses formes en fonction de l'enfant et en particulier de ses capacités de symbolisation. Ainsi, l'enfant avec de bonnes capacités de symbolisation pourra exprimer verbalement toute l'ambivalence de ses sentiments quant à ce petit être simultanément attachant et énervant. Si les capacités de symbolisation sont moins effectives (jeune enfant, capacités psychiques débordées par la situation, immaturité psycho-affective...), il pourra apparaître des troubles du comportement et/ou une agressivité verbale/physique envers le bébé.
Enfin, les ressentis négatifs pourront être masqués : il faut alors être attentif à l'enfant qui ne manifeste à priori aucune réaction à la naissance du bébé ou qui se montre grand(e) frère/sœur parfait(e).

- régression et maturation : les régressions de l'aîné sont un point attendues par les parents (souvent perçues, là aussi, comme une énième preuve de sa jalousie). Combien d'histoires d'enfants qui refont pipi au lit, qui reparle bébé, qui se mette à refaire du 4 pattes, bref qui semblent redevenir eux-mêmes des bébés ? La régression, tout d'abord, est un mécanisme de défense. Face au stress occasionné et aux angoisses réactivées par l'arrivée du bébé, l'enfant met en place des stratégies défensives pour gérer psychiquement ces vécus qui le débordent : la régression, dans ce contexte, permet à l'enfant de retrouver des vécus antérieurs rassurants. Il entre transitoirement en lutte contre sa nouvelle place de "grand" dans la famille. Par ces comportements régressifs, l'enfant vient aussi interpeler ses parents pour être à nouveau cocooné, contenu, bercé, soigné comme lorsqu'il était bébé. Il cherche à retrouver les vécus primitifs de sa toute-petite enfance auprès de ses parents en miroir du petit qui vient d'agrandir la famille : ainsi, il se trouve rassuré sur sa place auprès d'eux (rester l'enfant aimé de ses parents). Pourtant, souvent, les parents ne vont pas réagir positivement à ces régressions (un bébé à la maison leur suffit amplement !) et vont renvoyer à l'aîné leur agacement quant à son comportement, ce qui le laissera seul avec ses vécus angoissants concernant sa place dans la famille (sentiment de rejet, d'abandon, de perte d'amour...) et renforcera ses comportements régressifs, voire fera émerger des troubles du comportement. La posture parentale se devra d'évoluer afin de rassurer l'enfant quant à sa place tout en valorisant son évolution, sa façon d'être un grand. C'est ainsi que les désirs régressifs pourront laisser la place à des désirs maturatifs : d'une part pour se différencier du bébé qui vient de naître et d'autre part pour trouver auprès de ses parents une place valorisante de grand qui sait faire par rapport au petit si fragile et immature.

LES ANGOISSES DE L'ENFANT DEVENANT GRAND(E) FRÈRE/SŒUR
- Les angoisses de perte et de solitude : elles relèvent de la difficulté à être seul et à se séparer psychiquement de son parent. On comprend aisément en quoi l'arrivée d'un bébé peut réactiver ou accroître ce type d'angoisses : parents moins disponibles physiquement et psychiquement, regard sociétal qui insiste sur l'autonomie de l'aîné, renoncement à la place privilégiée d'enfant unique ou de petit dernier.

- Les angoisses de rejet voire d'abandon : tout le monde s'extasiant devant le nouveau venu, les aînés ont de quoi ancrer leurs angoisses dans la réalité "et si on les abandonnait pour mieux profiter de ce bébé tout frais tout neuf ?". Les parents qui consacrent beaucoup de temps au nouveau-né peuvent faire vivre des ressentis de rejet au plus grand. Pour peu qu'il manifeste des troubles du comportement ou des régressions que les parents peinent à accompagner, et les angoisses s'en trouvent d'autant plus validées et amplifiées.

- Les angoisses de perte d'amour : elles peuvent paraître semblables aux précédentes. Dans ce cas, l'enfant a peur de perdre l'amour parental, de ne plus en être digne. De telles angoisses peuvent émerger lorsque les parents vont réagir négativement aux régressions et comportements de l'enfant suite à la naissance du bébé ou bien s'inscrire dans un fonctionnement pré-existant. Il n'osera alors pas exprimer ses ressentis négatifs quant au bébé et à la nouvelle organisation familiale de peur de perdre l'amour parental. Ce n'est donc pas parce que l'enfant ne manifeste à priori rien, que l'arrivée du bébé ne provoque rien !


- Les angoisses liées à l'instabilité familiale  : l'enfant a besoin d'un environnement cohérent, stable, rassurant. Hors, on l'a vu, la naissance d'un enfant chamboule l'homéostasie familiale. Véritable tremblement de terre dans l'organisation et les relations familiales. L'enfant peut donc être en proie à des angoisses et ne pas trouver le cocon rassurant habituel pour les surmonter. De plus, il peut être confronté à la fragilité de ses parents (en difficulté plus ou moins profondes et durables face au tremblement de terre) ce qui est porteur d'angoisses supplémentaires.

- Les angoisses de performance : l'enfant devenant grand frère/sœur est soumis à une certaine pression sociétale et/ou parentale quant à son nouveau rôle. Cela peut générer des angoisses de performance : est-il à la hauteur ? Est-il décevant pour ses parents ? Il pourra alors se montrer grand(e) frère/sœur parfait(e) et idéal(e) pour coller aux attentes parentales/sociétales. Là encore, la non-manifestation de troubles du comportement ou de sentiments négatifs liés à la naissance du bébé ne signifie donc pas absence de réactions ou de souffrance.

INFLUENCES PARENTALES
- projection parentales sur la fratrie : et si la fratrie existait avant même que les enfants naissent ? Nous, les adultes, avons nous-mêmes étaient confrontés au concept de fratrie étant enfant : de l'enfant unique qui rêvait de ne pas l'être, à l'aîné se sentant délaissé à la naissance des suivants, en passant par ceux qui se battaient et ceux qui se protégeaient... bref, si ces exemples sont quelque peu stéréotypés, il n'empêche que notre histoire de fratrie ou de non-fratrie lorsque nous étions enfant, influe sur notre façon de réagir face aux relations de fratrie de nos propres enfants. Et ces projections ne seront pas sans conséquences sur eux, sur leur lien, sur la façon dont ils vivront leur place dans la fratrie et leur rôle de petit(e)/grand(e) frère/sœur. Ainsi, un parent, en fonction de son propre vécu, pourra être en empathie avec l'aîné devenant grand(e) frère/sœur, surprotéger le bébé vis-à-vis des aînés, favoriser le lien entre les enfants, idéaliser les liens fraternels ou au contraire projeter des relations conflictuelles entre eux... etc. Les projections parentales peuvent être très diverses et peuvent être favorables ou défavorables à  la création et à la qualité des liens au sein de la fratrie, ainsi qu'au vécu de chaque enfant dans la famille.

- changement de statut et regard parental/sociétal : en devenant grand(e) frère/sœur, l'enfant change de statut aux yeux de ses parents et de la société. L'attente à son égard devient plus importante, n'étant plus le bébé ou le dernier de la famille. Au niveau sociétal, l'enfant va entendre des phrases telles que "tu es grand maintenant", "tu vas/dois montrer l'exemple à ton petit frère/soeur", pression lui rabâchant sans cesse son nouveau rôle et le responsabilisant qu'il le veuille ou non. S'ajoute à cela une obligation à être heureux de la situation sans quoi on est pointé comme le jaloux "tu es content d'être grand frère/soeur ?", "il ne faut pas être jaloux, c'est super d'être grand frère/soeur". Entre la pression de bien remplir son nouveau rôle et l'interdit d'exprimer des émotions négatives à l'égard du nouveau venu, l'enfant est peu accompagné au niveau sociétal pour l'aider à s'adapter à ce nouveau rôle. Il est aisé de faire le parallèle avec les vécus parentaux : les parents sont soumis à une pression sociale à être un bon parent tout en étant peu soutenus dans ce rôle. A la différence près que ces dernières années, les langues se délient autour des difficultés parentales en post-partum et que l'accompagnement professionnel et sociétal des parents laisse petit à petit tomber le jugement à leur égard pour favoriser le développement de leur confiance en leurs capacités parentales. Quand aurons-nous la même démarche bienveillante envers les enfants devenant grand frère ou grande sœur ?

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