Depuis une quinzaine d'années, un phénomène se répend : l'[auto]-diagnostic de TDAH. Dès qu'un enfant gigote, l'entourage familial, social voire parfois les professionnels éducatifs, pédagogiques et sociaux y vont de leur diagnostic : ne serait-il pas TDAH votre enfant ? C'est ainsi qu'on a vu nos petits "hyperactifs" se multiplier comme des champignons. Mais qu'en est-il réellement ? Y-a-t-il une réelle augmentation du nombre d'enfants hyperactifs ? Est-ce que tout enfant agité est TDAH ? Pourquoi ces diagnostics prolifèrent-ils ?
Qu'est-ce que le TDAH ?
TDAH signifie Trouble Déficit de l'Attention avec ou sans Hyperactivité. Il s'agit d'un trouble neuro-developpemental. C'est-à-dire un trouble qui résulte d'un retard et/ou d'anomalies dans le développement du cerveau. Il se manifeste par 3 symptômes : le déficit attentionnel, l'impulsivité et l'hyperactivité. Le diagnostic en est délicat car il s'agit d'un diagnostic clinique en s'appuyant sur l'évaluation des symptômes et l'écartement des autres hypothèses diagnostics, et non sur des signes neurologiques observables. Le diagnostic peut être posé si les signes sont durables (plus de 6mois) et si il en résulte une souffrance au quotidien (en famille et/ou à l'école).
L'agitation motrice est un symptôme que l'on rencontre souvent chez l'enfant. Celui-ci est finalement rarement en lien avec un trouble neurologique, mais plutôt avec des troubles d'ordre psycho-affectifs. Sur l'ensemble de la population des enfants agités qui consultent un professionnel, rares sont ceux dont on pourra écarter toutes causes psycho-affectives pour expliquer le symptôme d'agitation.
L'agitation motrice, l'inattention et l'impulsivité : symptômes d'autre choses que le TDAH ?
Ces symptômes peuvent en effet s'exprimer dans d'autres contextes :
- l'expression des angoisses. En effet, il apparait que les enfants qui présentent des angoisses importantes peuvent les exprimer corporellement par une agitation motrice. C'est particulièrement le cas face aux angoisses de perte et de séparation. Ce sont généralement des enfants qui peuvent aussi présenter une inattention au niveau scolaire tellement les angoisses sont massives.
- un déficit de la symbolisation. Ce qui ne peut être symbolisé (pensé et/ou mis en mot) peut passer par le comportement. L'enfant manifestera alors une agitation et/ou une impulsivité. Ce sont d'ailleurs des éléments qu'on peut retrouver dans la population adulte avec des adultes dits "sanguins" ou qui font du sport à outrance.
- la lutte anti-dépressive. Là où on se représente la dépression comme un état léthargique, il n'en est rien pour l'enfant qui peut manifester ses affects dépressifs de diverses manières : l'agitation et les troubles du comportement en font parties. Il ne sera pas non plus étonnant qu'un enfant déprimé présente des difficultés de concentration à l'école.
- un signe de maltraitance ou d'exposition aux violences. En effet, l'enfant qui vit de la violence intra-familiale pourra se montrer particulièrement agité, présenter une impulsivité, des comportements inadaptés dans la relation à autrui et des difficultés d'attention et de concentration dans les apprentissages.
- un signe des difficultés d'apprentissage. Certains enfants présentent des difficultés d'apprentissage : ils s'agitent, se montrent inattentifs faute de comprendre ce qui leur est demandé en classe. En tant qu'adulte, si on vous demandait de suivre un cours de physique en chinois toute la journée, ne vous agiteriez-vous pas ? Resteriez-vous attentif ?
- une expression des troubles de la relation parents/enfant : quand la relation parents/enfant n'est pas sécurisante, l'enfant peut présenter des troubles psycho-affectifs divers. L'agitation peut se manifester en famille pour attirer l'attention de l'adulte ou animer un parent déprimé. L'enfant ayant intégré un modèle relationnel fonctionnant sur la recherche de réaction de l'autre pourra présenter un tableau d'agitation et d'impulsivité y compris à l'école dans le lien aux adultes ou aux pairs.
Vous l'aurez compris, le risque d'une erreur de diagnostic est grand quand il est question du TDAH. Le diagnostic ne peut être posé uniquement sur l'observation de l'entourage et la réponse à des questionnaires. Il nécessite une évaluation de la sphère psycho-affective, des relations intra-familiales et des apprentissages scolaires.
Mais alors pourquoi y-a-t-il tant de TDAH ?
- Il y a un biais tant pour les parents que pour les professionnels non médicaux qui sont soumis à la médiatisation du TDAH : on ne peut pas voir ce qu'on ne connaît pas. Si on ne sait pas que l'agitation peut être un symptôme d'autres choses que le TDAH, forcément tout enfant agité sera perçu comme TDAH. Si seule une évaluation basée sur l'observation des parents et de l'école est réalisée, l'enfant sera diagnostiqué TDAH peut-être à tort. Il manquera les pans psycho-affectifs, relations intra-familiales et apprentissages.
- une mise en lumière des troubles neuro-developpementaux au mépris des troubles psycho-affectifs. Actuellement, la politique française sur les troubles des enfants adopte un prisme neurologique. Les autres types de troubles, ceux psycho-affectifs en premières lignes, sont de plus en plus niés ou non considérés comme importants. Ainsi l'argent public est investi dans les diagnostics des enfants TND. Là, encore, on trouve ce que l'on cherche. A coup de plateformes diagnostics orientées TDN, on trouve plein d'enfants TND.
- les groupes de parents d'enfants présentant des difficultés font pression pour que la relation parents/enfant ne soient plus questionnées comme pouvant générer des symptômes chez l'enfant. Historiquement ces réactions sont probablement reliés à l'histoire de l'autisme, qui est un autre TDN. Les difficultés de l'enfant ne peuvent donc être imputés qu'à l'enfant lui-même, à son cerveau, et jamais plus aux relations qu'il entretient avec les différents systèmes dont il fait parti (famille, école, environnement...).
- pour les parents, il est moins culpabilisant, moins angoissant et moins difficile à gérer narcissiquement de chercher la faute du côté neuro-developpemental plutôt que du côté psycho-affectif (angoisses, dépression chez l'enfant : pourquoi et comment y remédier ??), familial (liens parents/enfant, difficultés parentales, traumas familiaux...) ou difficultés d'apprentissage (risque de l'échec scolaire, quel avenir). Le TDAH a finalement quelque chose de rassurant : l'enfant va bénéficier d'un traitement, d'aménagements scolaires, de thérapies rééducatives et tout rentrera dans l'ordre. Ainsi, on trouve dans nos bureaux des parents en recherche de diagnostics et qui iront voir ailleurs si le diagnostic n'est pas donné.
- dans le système actuel, pour qu'un enfant ait des compensations ou des aides scolaires, il faut qu'il soit reconnu handicapé afin d'effectuer une demande auprès de la MDPH. Les TND font partis des handicaps qui peuvent permettre à l'enfant d'avoir le droit à une aide scolaire. Ainsi, il y a tout intérêt pour les familles à rechercher les diagnostics afin que leurs enfants en difficulté obtiennent de l'aide.
- enfin, il y a une tendance à percevoir tout trouble actuellement comme un TND. En effet, puisque les neurosciences affectives ont montré le lien étroit entre développement du cerveau et développement affectif, on pourrait partir du principe que toute expression d'un symptôme sera à la rencontre des deux chemins : soit un symptôme psycho-affectif qui a modifié durablement le fonctionnement cérébral, soit un symptôme neurologique qui a des répercussions sur la sphère psycho-affective. Ce serait donc bonnet blanc ou blanc bonnet. A partir de ce constat, toute agitation pourrait porter le nom de TDAH, mais potentiellement le trouble serait d'origine psycho-affective. Ainsi, on obtiendrait un diagnostic qui ne veut plus rien dire si ce n'est le constat de l'agitation, de l'impulsivité et de l'inattention. On serait sur un diagnostic purement descriptif de symptômes mais sans cause identifiable. Un diagnostic de rien, en somme.
Est-ce un problème de diagnostiquer un symptôme d'agitation comme un TDAH ?
Vous allez me dire, au final, que ce soit dû au neuro-développement de l'enfant ou à un trouble psycho-affectif ou à autre chose, il s'agit toujours d'un enfant agité et en souffrance, donc qu'est-ce que ça change qu'on dise TDAH ou autre chose ? Autrement dit qu'on parle trouble ou symptôme, est-ce que ça a un réel impact ?
Si nous sommes en effet sur un diagnostic qui ne fait que décrire des symptômes sans présager de son origine, et qu'on admet les inter-relations complexes entre troubles neuro- et psycho-affectif, l'idéal serait donc un travail en complémentarité entre les neuro et les psycho. Hors ce n'est pas les choix politiques actuels : les TND nécessiteraient des rééducations mais la part psycho-affective est de plus en plus exclue de l'équation, et c'est bien là le problème. Ca revient à dire : vous avez une toux, on soigne votre toux comme si elle provenait d'un rhume (on prend en charge l'agitation comme si elle provenait d'un trouble neuro). On en oublie de questionner si potentiellement vous avez le COVID, une allergie ou un problème aux poumons.
Ensuite, il est particulièrement inquiétant de ne voir le développement de l'enfant qu'à travers le prisme du développement neurologique et d'occulter la richesse de sa vie psychique, de ses relations aux autres, de son inscription dans sa famille, de sa vie affective... etc. C'est inquiétant pour les diagnostics et c'est inquiétant pour l'humanité.
Qui dit TDAH dit souvent traitements médicamenteux, lesquels ont une action sur le cerveau en développement de l'enfant. De plus, il n'est pas anodin de prendre un médicament afin de modifier son comportement : qu'est-ce que cela vient induire pour l'enfant ?
En outre, la pose du diagnostic n'est jamais anodine ni pour les parents, ni pour l'enfant. C'est une étiquette qui peut empêcher une évolution positive de l'enfant. Un enfant est un être en développement constant. Une fois le diagnostic posé, tout comportement agité ou impulsif de l'enfant sera perçu comme une expression de son trouble. Le regard de l'entourage familial, social, scolaire... en sera profondément modifié pour le meilleur comme pour le pire. Si l'environnement se montrera plus indulgent, il aura aussi moins d'attente quant à l'enfant, ce qui ne le tirera pas vers le haut. L'enfant, de son côté, s'identifie à ce diagnostic et peine à montrer d'autres facettes de lui-même, qui potentiellement, ne colleraient pas avec le diagnostic. Alors que le symptôme se soigne, le trouble est là, à vie, bien qu'évolutif.
Je ne souhaite pas faire ici un article polémique. Il y a des enfants TDAH... mais, leur nombre est surévalué car ils sont sur-diagnostiqués. On passe alors à côté d'enfants dépressifs, d'enfants angoissés, d'enfants maltraités, d'enfants pris dans un fonctionnement familial insécurisant, de familles en souffrance autour de lourds traumatismes, d'enfants en difficultés scolaires... etc. Après plusieurs années en tant que psychologue, j'ai vu de très nombreux enfants arrivés dans mon bureau dont les parents, l'école, le centre aéré, la TISF, la voisine,... avait dores et déjà posé un diagnostic de TDAH. Parmi eux, il m'est arrivé peut-être une fois de penser au TDAH car toutes les autres hypothèses étaient écartées. Majoritairement, les troubles étaient d'un autre ordre. Parmi eux pourtant, certains sont allés consulter ailleurs et ont obtenu le graal du diagnostic et la mise en place d'un traitement médicamenteux. Qui a raison ? Qui a tort ? Peu importe. Qui souffre ? Telle est la question qu'on ne se pose malheureusement plus.